Portrait de Tella Kpomahou
Dans le cadre du programme Yonnou 2022-2023, qui promeut une meilleure représentation des femmes dans le milieu de l’audiovisuel et des médias, nous vous présentons des femmes aux parcours divers, qui ont réussi ou sont en passe de réussir leur carrière dans ce milieu ! Sous-représentées, ou mal représentées, elles ont toutes à cœur de s’épanouir dans leur passion.
Il y a quelques mois, nous avons pris contact avec Tella Kpomahou, via son agent Amzath Abdoulaye, qui nous ont ouvert les portes de leur monde. Tella est une actrice internationale, franco-béninoise, dont on ne compte plus les rôles, à la télévision, au théâtre, de doublage. Consciente de la longue route vers l’autonomie et le succès sur laquelle marchent les femmes, elle reste positive et voit le verre à moitié plein. Elle a créé, ainsi, une association WANI AYO de production, création, mise en scène, diffusion de projets culturels. Via cette association, elle organise des formations et contribue à rendre plus professionnel et accessible le cinéma africain.
Chayna – Comment vous en êtes arrivée à faire ce que vous faites aujourd’hui ?
Tella – Les choses sont parties de la France vers l’Afrique, en Côte d’Ivoire dans un premier temps. Côte d’Ivoire que j’avais quittée en 2001 pour y retourner en 2004 pour la faveur d’un long métrage “Après l’océan” de Eliane de Latour. Ensuite, en 2006-2007, ça a été “il va pleuvoir sur Conakry” de Cheick Fantamady Camara. Puis les projets se sont enchaînés, des petits rôles pour le cinéma français et la télévision française. Une fois que j’y étais, j’y étais, je m’y suis complètement consacrée. Alors, dans les premiers temps, c’était facile parce que jeune adulte sans enfants, par la suite, j’ai eu des enfants. C’est là où les choses se complexifient.
Déjà effectivement une comédienne noire, il n’y a pas tant de rôles que ça, même s’il m’arrivait de jouer régulièrement. J’ai pas eu de panne, comme on pourrait avoir pendant 1 ou 2 ans sans travailler du tout. Ma chance, c’est que comme j’étais sur les trois plans – théâtre, cinéma et télé – j’avais toujours un projet par an donc je n’ai pas connu la grande pénurie que peut connaître certaines personnes, le téléphone qui ne sonne plus, donc j’ai toujours été en activité.
Par la suite, comme je disais, arrivent les enfants. Donc il faut s’organiser, donc la question de la mère, de la femme artiste se pose. Effectivement, il y a un flottement le temps qu’on s’installe dans cette nouvelle réalité et qu’on trouve sa place de mère, parce que ce n’est pas simple. Pas si simple que ça. Parce que la société nous impose une certaine rigueur, une certaine réalité en tant que mère, et ce n’est pas simple physiologiquement aussi parce que le corps bouge, on est dans une autre dynamique. Malgré cela, j’ai quand même réussi. J’ai la chance d’avoir deux beaux enfants, un compagnon qui suit, qui respecte mes choix artistiques. Je suis une comédienne qui bouge quand même pas mal, qui voyage. Je ne dirais pas que c’est simple, mais je pense qu’il faut une volonté, une organisation, j’y arrive encore, j’espère que je vais y arriver encore pendant longtemps. Pour la petite anecdote, pendant que mon fils avait 1 mois, j’ai été invitée à un festival international en tant que membre de jury et j’ai dû l’emmener avec moi, c’était le plus jeune festivalier, il avait 1 mois. Donc, voilà, c’est les choses qui se font et on est obligés de trouver de quoi continuer, de ne pas baisser les bras sinon très vite, on tombe dans une certaine aigreur, on va contre son épanouissement à soi et tout est fait de façon sociétale pour aller contre notre épanouissement à nous les femmes.
A nous d’être vigilantes. On doit retrousser les manches et prouver encore plus malheureusement. On doit prouver qu’on est une bonne mère, non déjà prouver qu’on peut avoir des enfants. Parce qu’une comédienne doit toujours rester jeune, lisse. Les enfants seraient une contradiction de ce modèle. Donc oui, faire des enfants, être là pour eux et continuer à être artiste, c’est un challenge qu’on peut gagner, à condition d’être déterminée et d’avoir les ressources et les aides nécessaires. Quand je dis les aides nécessaires, je dis les soutiens nécessaires.
C – Si vous aviez des conseils à donner à des jeunes et notamment à des jeunes femmes qui voudraient avoir le même parcours que vous, qu’est ce que vous voudriez leur dire ?
T – Je dirais dans un premier temps qu’il faut être complètement consciente que rien ne leur sera donné, qu’il y a des places à prendre. Elles doivent les prendre et ne pas attendre qu’on les leur donne, qu’on leur octroie. Tout ce qui est gagné à la force de son courage, de sa détermination, de sa persévérance est acquis, à vous, on ne peut pas vous le reprocher, vous l’avez gagné à la sueur de votre front, pour parler vulgairement. Il faut sortir de cette habitude du sous-conditionnement qui voudrait que la femme est incapable de. Aujourd’hui, la femme est pleinement capable. Il ne faut laisser personne nous dire le contraire.
C – J’ai regardé, “ The Woman King” sorti récemment. Est ce que vous pensez que ce genre de film, malgré les critiques qui ont été, à la fois bonnes et parfois un peu plus mitigées, peut avoir un impact ? Plus on voit des femmes en nombre, des femmes noires, africaines ou afro-américaines à la télé ou au cinéma…
T – Mais carrément, carrément ! Moi les polémiques je les laisse aux polémiqueurs. Je laisse les affamés mordre ce qu’ils ont envie de mordre. Laisser le rêve exister, laisser le cinéma exister, c’est de la fiction, c’est de la fiction inspirée de faits réels. Alors effectivement, c’est romancé, policé, esthétisé, tout ça, mais les amazones du Bénin, les amazones du Dahomey ont résisté. Il faut bien en parler quelque part, il faut bien en parler de la plus belle manière possible, et au-delà de ce film, ce que je retiens, c’est cette histoire apportée par deux femmes, deux femmes noires. La réalisatrice et la productrice, la comédienne Viola Davis et la réalisatrice Gina.
C’est drôle que vous en parliez de The Woman King. Je ne sais pas si vous avez vu, mais je suis intervenu là-dessus, j’ai fait le doublage. Pour la version française, j’avais été contactée pour coacher et en dehors du fait d’avoir participé, pour moi, c’est un film que j’ai eu plaisir à regarder tout simplement. Cette histoire des amazones de Dahomey sublimée comme ça ! Parce que le cinéma est aussi là pour nous faire rêver, pour esthétiser, pour sublimer. Les polémiqueurs qui disent non, c’est de l’appropriation culturelle, bon c’est leur histoire hein, on peut pas plaire à tout le monde, ça ne devrait pas empêcher de rêver. Ce film devrait être montré dans les centres de formations pour jeunes femmes et oui on en est capables. Ça a existé. Ce ne sont pas des faits inventés.
C – Il a dû inspirer plusieurs jeunes filles en effet. Alors, comment on parle d’art à ses proches quand on a envie de s’y consacrer ?
T – C’est pas simple, c’est pas simple. Pendant, longtemps quand je vivais encore en Côte d’Ivoire et que je commençais le théâtre, je ne savais pas comment l’expliquer à ma mère. Comment on parle d’art … Je ne sais pas, et si vous avez un jour la réponse, j’aimerais bien l’avoir aussi.
Pour ma part, parmi les choses que je vais faire ici à Cotonou, au mois de novembre, je vais mettre en scène une pièce qui s’appelle “Une maison de poupée”. C’est une pièce écrite sur le rôle traditionnel de l’homme et de la femme dans le couple. Sur l’épanouissement de la femme et sa place, son conditionnement. Cette pièce qui a été écrite il y a plus de cent ans est d’une actualité criarde et j’ai voulu m’attaquer au sujet et en faire une adaptation. On sera en création du 4 au 23 novembre à Ouidah. Il y aura une première le 25 novembre à l’Institut français de Cotonou et avec cette pièce mon but, c’est non seulement de donner des représentations publiques, mais aussi de faire des rencontres débats dans des centres de formation, des lieux pour questionner nos habitudes par rapport à la place de la femme et à la place de la femme au sein du mariage. Peut-être que ça serait aussi une occasion de parler de l’art à travers le théâtre, à travers les représentations théâtrales, on amène la question de l’art au cœur de la vie.
Mais pour revenir de façon plus concrète à votre question, comment parle-t-on de l’art ? Je pense que c’est les mots ou la démarche pour le faire qui est peut-être pas simple à trouver. Lorsque l’art est au cœur de notre vie, au quotidien de nos vies, que juste le fait de s’habiller est un art, quelques fois on y met trop de sérieux. Peut-être que c’est le sérieux qui accompagne ce mot qui fait que ça rend cette thématique un peu élitiste, mais ça devrait être un peu au quotidien, l’art, ça serait plus facile d’en parler.
C – En tout cas, pour parler de cinéma, vous avez organisé une formation ouverte. Peut-on réaborder cette question ?
T – Oui, c’est la formation triptyque aux métiers du cinéma. Triptyque parce qu’elle regroupe trois modules : écriture de scénarios, production cinématographique et audiovisuelle, actorat. Nous avons au total 23 participants. Donc 9 en actorat, 7 en écriture de scénario et 6 en production. C’est une formation pour des personnes ayant déjà de l’expérience à ce niveau-là et qui ont le souhait d’aller plus loin. C’est une formation qui est issue d’une activité organisée par l’association Wani-Ayo dont je suis la fondatrice. Je suis parti du constat grâce à mon métier de comédienne et parce que j’ai fait partie d’une commission de financement de films, documentaires et séries que les productions béninoises ne vont pas être compétitives, ne vont pas au-delà du Bénin.
A mon niveau, je peux pallier cela, grâce à mon expérience, grâce à mes contacts et donc oui, j’ai voulu créer une réflexion autour de ça, une réflexion commune. Les journées de réflexions ont réuni une cinquantaine de personnes sur la manière de faire pour trouver des solutions pour sortir de cette espèce de léthargie du cinéma béninois. Donc la formation vient pour répondre au problème de qualité des formations.
Avec cette formation, on ne peut pas répondre à tout, tout d’un coup, parce que le chantier est vaste et qu’il y a beaucoup beaucoup de choses à faire. Mais une pierre après l’autre, on peut peut-être prétendre avoir des productions de qualité qui dépassent les frontières du Bénin et qui soient compétitives.
C – Et comment vous avez trouvé ces participants ?
T – Alors ça a été un appel à candidatures lancé en septembre pour les trois modules. Nous avons reçu une cinquantaine de candidatures et on en a sélectionné le nombre final que je vous ai dit, à savoir 23.
C – C’était passé sur des réseaux professionnels ?
T – Nous sommes soutenus, alors ça faut le citer, par Canal+ Bénin et Canal university qui encouragent la formation professionnalisante, et l’Institut français qui est à nos côtés aussi. C’est passé sur leurs réseaux, sur la page Facebook de Wani-Ayo, et deux-trois autres réseaux. Sans le vouloir, c’était intimiste sans être intimiste donc nos partenaires l’ont diffusé.
C – Un dernier mot ?
T – Je trouve votre démarche intéressante. Il est important de s’attarder sur la participation des femmes dans tous les secteurs d’activité et l’audiovisuel. Je dis ça peut-être parce que je suis de ce milieu-là, mais c’est le secteur qui peut permettre aux femmes d’être plus visibles. L’audiovisuel peut aller chercher ces femmes-là, cette minorité invisible, les rendre visibles et c’est bien de pouvoir mener ce genre d’actions. C’est encourageant pour les générations à venir, qui veulent ressembler à ça, avoir des modèles, des références, avoir des repères.